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L'INDE
29 juin 2004

Phodong

J'ai vu le KANCHENJUNGA !

Hier matin, Erik a frappé à la porte de ma chambre pour me dire qu'on distinguait le Kangchenjunga.

J'ai dit, ce n'est pas le Kangchenjunga, mais c'était le Kangchenjunga.

Il apparaissait par un minuscule trou dans la masse de brume, on avait l'impression d'assister à un spectacle. Pendant une dizaine de minutes, il apparaissait puis disparaissait, puis il a disparu complètement et d'un seul coup les nuages se sont déchirés, et il est apparu dans son massif, amplement, dix secondes. Il a, à nouveau, complètement disparu et est revenu une fraction de seconde derrière les nuages avant de disparaître complètement.

8598 mètres et des milliers d'années de glace.

Il n'était pas apparu depuis plusieurs semaines.

Après le petit déjeuner nous avons pris une jeep conduite par un chauffeur tibétain pour grimper dans le nord du Sikkim, à Phodong.

Le paysage est vertigineux, on longe des précipices, on passe sur des ponts suspendus avec des drapeaux de prière au dessus des torrents et le petit chemin est emporté sur plusieurs points par des glissements de terrain. La jeep patine, glisse, longe le précipice et continue…

Nous sommes arrivés à Phodong à midi, la jeep ne pouvait plus monter et nous avons fait les 2,5 km restants jusqu'au monastère, à pied. Les moines ne pouvaient pas nous héberger, nous sommes redescendus au village et avons pris une chambre à 120 roupies (2 euros) dans une auberge très sinistre. J'ai trouvé une sangsue sur mon lit, Erik un ver sur le sien.

Nous avons avalé des biscuits pour ne pas avoir à déjeuner à l'auberge et nous sommes remontés très lentement vers le monastère. L'altitude m'est moins pénible ces derniers jours, je ne dois rien porter à part mes vêtements et je dois faire de courts arrêts tous les 500 mètres.

Erik patiente.

Le monastère de Phodong est celui où Alexandra David-Neel a étudié le tibétain en compagnie du prince du Sikkim, Turku, avant ses expéditions vers Lhassa.

J'avais souvent lu la description des lieux dans sa correspondance et ses livres, sans supposer que je m'y rendrai un jour. Un bouddha de grande valeur qui lui avait été offert par le prince et qui a été rendu au monastère par ses héritiers, a été volé il y a un an. Nous avons parlementé un moment pour convaincre les lamas de nous ouvrir quand-même le monastère. Il ont fini par accepter, mais ne nous ont pas ouvert la porte où sont conservées quelques-unes de ses affaires. Les lamas sont paraît-il traumatisés par ce vol.

Nous nous sommes promenés dans la bibliothèque et dans les différentes salles du monastère. J'ai embêté le lama pour monter au premier étage où nous avons vu des fresques tibétaines. J'ai demandé de monter au deuxième étage et il m'a dit qu'il n'y avait rien, j'ai dit que je voulais quand-même y aller, puis du deuxième étage il y avait une escalier en bois qui montait encore, je l'ai pris sans attendre qu'il me dise non. On se retrouve en haut du monastère, avec une galerie qui fait le tour du bâtiment et deux pièces avec des vitres poussiéreuses. En regardant à travers les vitres, j'ai vu toutes sortes de têtes de morts en plâtre, avec des plumes et des miroirs. C'était très beau et troublant. J'ai pensé aux magiciens tibétains dont parle A-D-N. Le moine nous a expliqué que c'était les coiffes que les lamas mettaient sur la tête lors des danses Chaam.

Nous avons demandé si nous pouvions rester dans le monastère et il a dit que oui.

Nous nous sommes assis sur les marches et avons passé les heures qui ont suivi en compagnie des petits lamas aussi curieux que nous l'étions, de nous approcher.

Nous avons parlé et nous sommes pas mal amusés à les regarder jouer au badminton et à grimper sur les sculptures en relevant leurs jupes safran.

En fin d'après-midi nous les avons quittés lorsque les lamas plus âgés leur ont demandé d'aller chercher leurs livres. Nous les avons regardés déchiffrer les caractères tibétains sur des livres longs et étroits et leur avons dit au revoir.

Nous avons continué le chemin du monastère, 2,5 km plus haut, dans la forêt, il y a encore un monastère, plus ancien. Nous sommes arrivés au moment où la nuit se préparait à tomber. Il est très beau, plus rustique et mystérieux que le précédent, dans le crépuscule. Nous en avons fait le tour et sommes redescendus rapidement en nous souvenant qu'il y avait plein de panthères et de léopards autour de nous… Hé hé. Il y a quand-même des paysans et des fermes sur pilotis partout, même en pleine forêt, sur des terrains impossibles… Nous avons fini par rejoindre le chemin principal et sommes arrivés au village à la nuit tombée après 16 km de promenade. C'était très beau.

Bien que contents d'arriver, nous étions déprimés à l'idée de devoir nous passer de dîner et de dormir dans une chambre sinistre.

Nous avions vu un peu plus loin sur le chemin une autre auberge avec un nom pas mal : Yak & Yeti.

Nous avons été reçus par une mama aux yeux plissés qui nous a montré sa plus belle chambre, plus chaleureuse et surtout très propre. Nous sommes allés chercher nos bagages dans la première avons payé la chambre et avons vite émigré vers le douillet Yak & Yeti.

La mama aux yeux plissés était en fait une Buthia, (de l'ethnie des femmes qui pratiquent la polyandrie etc.). Elle nous a installés sur des banquettes dans un petit salon derrière des rideaux, nous a offert du whisky sikkimais et a préparé un excellent repas avec son serviteur népali.

Au moment de dîner, elle est venue s'asseoir à nos côtés un verre d'alcool à la main et nous avons parlé jusque très tard. En plus d'être une agréable hôtesse elle avait une énorme culture, parlait un anglais impeccable, et elle nous a expliqué et raconté des choses passionnantes. J'ai compris comment la polyandrie se pratiquait. Je vous raconterai… Dans ce hameau perdu dans la brume, cette soirée au Yak & Yeti en compagnie d'une femme buthia était assez déconcertante.

Ca avait bizarrement quelque chose de japonais, sur Hokaïdo, en automne.

Après le petit-déjeuner ce matin, nous sommes redescendus sur Phodong avec la Jeep. Il avait plu dans la nuit et le chemin devenait parfois sur plusieurs centaines de mètres un grosse flaque de boue liquide le long de la montagne. La Jeep patinait beaucoup plus que la veille et les précipices devenaient beaucoup plus vertigineux de fait. Le chauffeur tibétain m'inspirait confiance mais à force d'avoir peur de mourir et d'être soulagé 20 fois en 20 mn ça m'a provoqué un sentiment euphorique très sensible. Je parle pour moi…

Nous sommes donc arrivés à Gangtok joyeux, avons fait faire des permis pour nous rendre à la frontière chinoise (tibétaine !) demain, avons déjeuné puis nous sommes rendus à l'Institut de Recherche en Tibetologie. Le seul qui existe. Nous avons visité la bibliothèque qui conserve les plus rares manuscrits sauvés des monastères avant l'arrivée des chinois.

J'ai acheté un long livre tibétain et deux belles éditions de l'institut.

J'arrête pour aujourd'hui car je vais traverser les rues transformées en torrent depuis une heure, et passer les heures suivantes à tenter d'expédier le blog… ca rend l'aventure plus amusante.

Des bises !

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Commentaires
G
Je ne sais nous atteindrons au même moment "le grand âge" mais ça me tenterait bien de venir avec vous , boire du whisky, entourée de nombreux jeunses hommes...;)
G
Aucune réeele analyse dans mes propos précédents, simple apprécation, voire divagation procurée par les hauteurs de l'Himalaya!<br /> Amitiés. Guîta
G
Certains indiannistes avancent la thèse que le Mahabharata est le récit d'une guerre de religion; d'autres celui d'une guerre ethnique.<br /> Au fur et à mesure de vos récits, je me pose la question. Il serait difficile en quelques phrases d'argumenter l'une ou l'autre thèse. Mais de façon très globale, je dirais qu'il s'agit des deux. Analyse certes très superficielle qui mérite réflexion... Les 5 frères pandavas fils de Pandu " le pâle"ont une femme commune :Draupadi; les frères Kauravas vivent dans les plaines...
C
voilà ce qui me rassure, c'est de savoir qu'il y a sur la terre un coin près du ciel où, si je n'ai rien d'autre à faire durant mon grand âge, je pourrai faire la mama plissée à boire du whisky en compagnie de beaux messieurs de passage, curieux, gentils et drôles. Encore des bises. Chris
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