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L'INDE
12 juillet 2004

Beau week-end à Bombay. Mon dernier pour cette

Beau week-end à Bombay. Mon dernier pour cette fois.

Après avoir posté le blog samedi, je suis allé retrouver mes camarades de fiesta, dans leur appartement à Malabar Hill. Ils m'ont servi un apéritif et j'ai photographié les aigles des tours du silence qui viennent se poser sur les toits.

Nous avions rendez-vous afin de nous rendre à un vernissage chez Aditya Ruia, une riche famille de Bombay qui ouvrait sa maison.

Quelle maison ! Entre les buildings de Malabar Hill, un parc avec une grosse villa du début du siècle, blanche et baroque, avec des verrières, des vérandas, un gigantesque perron, des vénus et des angelots dans les bananiers, et à l'intérieur d'immenses salons avec meubles, tapis et peintures des années 40.

Dans deux salons ils avaient accroché le travail de quatre jeunes artistes. J'ai parlé longuement avec un artiste Justin Ponmany, originaire du Kerala, pas effarouché par ma façon de m'exprimer en anglais… Au dessus du bar et des serveurs, il y avait un portrait rouge de Tarkovsky. Je vois souvent sa tête en Inde, et j'ai souvent entendu I love Tarkovsky !

J'ai échangé quelques mots avec un français heureux de vivre à Bombay, et qui dit avoir deux endroits sur la planète où il est bien, Bombay et sa ferme en Mayenne. Toutes les combinaisons sont possibles…

Les quelques français qui vivent en Inde et que j'ai croisés dégagent quelque chose de très légèrement euphorique. Je pense que je dois être touché par le phénomène aussi… et ils parlent sans cesse, de la qualité des rapports qu'ils ont ici, du quotidien jusque dans les rapports amicaux. Ils parlent toujours aussi du sentiment d'existence qui n'est pas le même.

Et combien on existe pour tout le monde tout le jour… c'est, je pense, ce qui va m'être le plus difficile de quitter. Je pense que le plaisir de cette communication douce et fluide enlève une chape de restrictions et de luttes qui n'est plus nécessaire en Inde et que c'est la disparition de cela qui nous rend légèrement euphoriques.

Ce même français m'a présenté à un deuxième français qui m'a demandé ce que je faisais à Bombay. Après le début de ma première phrase, il s'est mis à crier c'est vous, ça fait deux ans que je vois des photos et des films avec vous ! des films ?

C'était le responsable de la banque mondiale à Bombay, c'est à dire celui qui finance tout le projet sur lequel nous avons travaillé et qui voudrait maintenant le développer à grande échelle. En tous cas il connaissait bien le projet jusque dans les détails.

Il m'était sympathique et nous avons parlé longuement. Drôle de soirée à Malabar Hill, décor de film des années 40, artistes et protagonistes romanesques comme dans une fiction.

Après le vernissage, je me suis retrouvé dans une grosse voiture, avec le propriétaire de la maison, un jeune architecte indien, les deux français et le consul des Etats-Unis terriblement anglo-saxon mais qui parle bien français.

Nous avons passé la soirée dans un cabaret sur Marine Drive, Jazz by the bay, le public s'est mis à hurler quand une indienne d'une soixantaine d'années, genre Nina Simone plus claire est arrivée et a commencé à chanter des standards du rock et du jazz américain. Il est vrai que ses interprétations avaient quelque chose de déchirant… Je pensais au roman de S. Rushdie, qui se passe dans le milieu rock de Bombay et New-York.

Nous avons terminé en mangeant une pizza sur Marine Drive qui la nuit est un mélange de Manhattan et de la Havane, j'ai sauté dans un taxi et suis revenu très tard à Bandra…

Tous les taxis de Calcutta et de Bombay se perdent tout le temps, ils se dirigent en demandant à vingt autres taxis leur chemin, il m'est arrivé après une heure de route de tourner de 30 à 45 mn avec des taxis que le fait de se perdre fait éclater de rire. C'est guère possible d'enregistrer les chemins dans des villes tentaculaires comme Bombay et Calcutta. Je pense que les taxis qui se perdent, de retour à Paris, vont me manquer aussi… j'ai beaucoup aimé ces zigzags dans les fiat Premiers de Bombay ou les ambassadors de Calcutta, qui rebondissent sur la chaussée avec les dieux qui clignotent sur le tableau de bord et les chauffeurs qui me parlent en hindi.

Hier matin, dimanche, l'artiste rencontré la veille, Justin, m'avait invité à lui rendre visite dans son atelier à une heure au nord de chez moi, ce qui signifie qu'on est à deux heures en train du sud de Bombay (Colaba) et à trois heures en voiture.

J'ai pris un rickshaw jusqu'à la gare, puis le train jusqu'à Kandivali. Dans le train, deux jeunes étudiants m'ont fait la conversation. Il est rare que je reste plus de 4 ou 5 minutes seul quelque part. Mais ce qui est d'autant plus agréable c'est que ça ne se fait pas n'importe comment. Aucune lourdeur dans la façon d'aborder ou de parler. Une légère distance, et surtout une grande attention à ce qu'est l'autre afin de s'ajuster très délicatement. D'où les sentiments de douceur et de plaisir très fort après chaque conversation de ce type. Les indiens s'adressent directement à l'être et pas à la personne sociale… avec une bienveillance déroutante.

En sortant à la gare, dans la cohue du dimanche je n'ai pas trouvé Justin tout de suite devant les guichets où il m'avait donné rendez-vous. Au milieu des gens qui dormaient entre les files qui faisaient la queue pour acheter un billet, et que tout le monde enjambait tour à tour je me suis aperçu quelques minutes avant les autres qu'une des femmes était morte.

Lorsque 2 mn après quelqu'un s'en est aperçu aussi, la queue s'est légèrement déportée, quelques personnes ont ajusté son sari et les regards se posaient sur la morte comme sur le reste. Il n'y avait pas grand chose de différent dans les yeux qui regardaient le cadavre que lorsqu'ils posaient leur regard sur l'enfant qui jouait à côté. Elle avait la même place dans l'ensemble.

J'ai retrouvé Justin, il a acheté de la bière, des cacahuètes et m'a conduit dans son atelier en haut d'un immeuble très Bombay. Agréable atelier ouvert sur les marais de la périphérie.

Il a beaucoup aimé Fûdo, que je lui ai montré sur mon ordi.

La pluie s'est mise à tomber…

Je suis revenu en milieu d'après-midi en rickshaw, le dimanche la foule est aussi dense que dans la semaine mais habillée autrement, occupée autrement et on y voit plus de femmes.

Dans les Fiat on voit des familles ou des groupes d'amis de 11 ou 12 personnes entassés et très élégants autour du chauffeur. Sur les motos 5 ou 6 personnes, dans les auto-rickshaws aussi et sur le bord de la route une foule avec des chemises jaune, rose, vert clair, et des saris brillants dans des pauses immobiles, ou qui marchent en se caressant et en mangeant des sorbets.

Au milieu de ça quelques bourgeois en voiture décapotable qui ont des mines dégoûtées de tout et des yeux désabusés pour montrer qu'ils ont tout.

Je ne suis pas pour les oppositions de ce type mais je n'ai jamais vu une séparation aussi radicale entre l'élégance et la beauté sensuelle de la rue et la vulgarité et la laideur des nouveaux riches. On se demande comment ils ont fait pour arriver à de telles extrémités. Ca donne des frissons.

En revenant de Kandivali on croise toutes sortes de quartiers. De nouveaux quartiers avec de beaux immeubles entourés de bidonvilles, des quartiers middle class, des tas d'ordures et les vaches décorées endormies par groupe au milieu de la route, des camions renversés etc etc. et la foule partout. Sur ma rétine j'ai l'impression de voir des kaléidoscopes qui s'emballent par moment… plus tous ces yeux qui se regardent, que je regarde, qui me regardent et qui se sourient, ça fait de drôles de sensations.

Après une heure de route dans ces quartiers, je me suis retrouvé à nouveau à Juhu. J'ai réalisé qu'on était dimanche et que ça devait dégager, Juhu un dimanche après-midi.

Je me suis arrêté, j'ai d'abord déjeuné dans un café plein de jeunes bien habillés. J'aime bien la mode de la jeunesse indienne… qui a énormément changé depuis 98…

Une chose troublante lorsqu'on roule au milieu de ces foules ou quand on marche dans la rue, c'est qu'on a l'impression que toute l'Inde a entre 20 et 25 ans.

Sur la plage de Juhu, c'est pas facile à décrire, la foule calme qui regarde la mer, mange des glaces, marche lentement et discute en groupe au milieu des vendeurs, des singes, de la musique…

Peut-être que les photos donneront une idée…

Je me suis assis, j'ai discuté et j'ai mangé les sucreries qu'on me proposait gentiment. J'ai dû encore poser devant le coucher de soleil, et ça m'a rappelé que j'avais quelque chose d'un peu différent pour qu'on me photographie. J'oublie de plus en plus ça au fil des semaines, surtout lorsque je suis plongé au milieu de milliers d'indiens et que je m'y sens aussi bien que dans mon bain…

De retour à Bandra j'ai appelé Parimala, qui a réalisé que je partais mercredi et elle demain à Delhi.

Nous nous sommes retrouvés dans un bar ou nous avons parlé très tard de ces mois de travail et de vie commune qui se sont incroyablement bien passés entre nous sans une seconde de lassitude ou de tension et avec des heures de travail et de discussions la nuit à Calcutta, Kanyakumari, Jaisalmer...

Mon plongeon dans l'Inde n'aurait pas été le même du tout sans cela.

Il y a très peu de personnes avec qui ça aurait été possible. Nous ne nous étions jamais vus avant, ne parlions pas la même langue, n'avions pas la même culture, ne venions pas des mêmes recherches… et voilà !

Elle n'arrivait pas à réaliser que c'était terminé (pour cette fois) et moi non plus. Nous nous sommes dits au revoir, émus et légèrement abattus, devant un rickshaw en ayant du mal à comprendre que nous ne pourrions plus parler, travailler et rigoler ensemble pendant longtemps...

Nous n'y avions jamais pensé avant.

Grosses bises,

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Commentaires
P
C'est incroyable, tu as un bip lorsque je mets en ligne toi!<br /> Oui tu as raison, c'est valable pour Parimala, l'Inde et tous les indiens... je regarde et ecoute tellement que ca me fait mal a la tete.
T
C'est étrange ces moments, où le temps et l'espace qui ont étés communs entre les gens commencent tout doucement à changer.L'accuité devient aussi plus forte et on ne veut rien perdre.<br /> Profite!
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