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L'INDE
16 juillet 2004

Je quitte l'Inde un 14 juillet ! Dernière journée

Je quitte l'Inde un 14 juillet !

Dernière journée à marcher dans Colaba pour m'imprégner de tout ce que je peux, monter en haut des terrasses pour embraser Bombay du regard… et stopper devant les gestes et les regards dont je suis devenu addict, et qui m'emplissent d'une tendresse dont j'ignorais même être capable. Je me fais l'effet d'un amant qui doit quitter la personne ou le lieu qu'il aime et qui a du mal à s'en remettre à sa destinée… j'essaye de saisir ce que je dois quitter ce soir. J'ai rarement eu la sensation d'agir à ce point dans le sens inverse de ma volonté. Tout ceci doit paraître bien sentimental pour ceux qui ne sont pas dans le même move que moi, bien que tout le monde ait éprouvé le refus intérieur de quitter quelqu'un.

Ca a été pénible de quitter Calcutta, mais j'étais encore en Inde… mais quitter l'Inde ce soir me semble tout à fait absurde.

Ce matin après avoir passé un peu plus de 2 heures à ranger mes 3 valises, j'ai voulu m'assurer que mon billet était bien au bon endroit. Dans la même chemise en carton depuis mon arrivée. Il n'y était pas… J'ai ré ouvert toutes les valises, cherché dans toutes les pochettes… sans succès. J'ai réfléchi où j'aurais pu avoir envie de le mettre, j'ai fouillé dans la poubelle et il était, plié au fond sans que j'ai le moindre souvenir de l'y avoir déposé… je ne pensais pas laisser à ce point, libre cours à des actes manqués pareils !

Dans le hall du Oberoi où j'ai déposé mes bagages j'ai rencontré Patrick qui sortait de chez le coiffeur. Il m'a conduit au dernier étage et j'ai mitraillé Marine Drive, derrière des vitres oranges… avec un point de vue qui est presque celui d'un avion.

…. (posté au retour)

J'ai téléphoné à l'Ambassade de France pour dire adieu à Radhika Jha, mais c'était un 14 juillet et je suis tombé sur le concierge… puis je me suis promené vers les docks pour voir le soleil orange se coucher sur les immeubles en bois des négociants du XIX s.… Je suis passé au bureau de Patrick, pour enfiler une nouvelle chemise verte achetée pour la réception de ce soir. Adriana était très élégante… nous nous sommes rendus au Oberoi ensemble. Dans une immense salle de réception tendue de guirlandes bleu blanc rouge, avec un orchestre au milieu, de succulents buffets sur les côtés, des saris et des robes d'archevêques autour de la piste de danse… j'y ai retrouvé le plupart des artistes et des personnes rencontrés ces derniers jours… quelques expatriés sympathiques, comme un iranien milliardaire marié à une française que la douceur de l'argent et de l'Inde a l'air de rendre heureuse… J'ai dit adieu à tout le monde, Adriana, Patrick et quelques douces connaissances indiennes m'ont accompagné devant le perron du Oberoi jusqu'au taxi. Nous avons remonté Marine Drive, Bandra … et toutes les rues que je prenais chaque jour dans le sens inverse pour me rendre dans le centre. Dans le taxi j'étais dans un tel état émotionnel, ruisselant de larmes, que le doux chauffeur, sans un mot, s'est arrêté devant une échoppe pour m'acheter une bouteille d'eau et une guirlande de fleurs de jasmin dont l'odeur a éclaté dans le taxi et qui est maintenant enroulée autour du Ganesh en pierre de ma bibliothèque.

My god, ces indiens !

A l'aéroport, l'enregistrement s'est passé vite et Lufthansa oblige je me suis retrouvé sans transition plongé dans une salle d'attente d'allemands de retour de Goa… qui hurlaient. Escale à 8 heure du matin à Frankfurt, j'ai eu la sensation d'arriver dans un pays en guerre tant les visages après n'avoir vu que des indiens après des mois font peur. Plus aucune lumière dans les yeux, des regards non pas agressifs mais tristes et apeurés… des visages écroulés et des rictus amers… Une vision à la George Grosz baignée de l'hystérie d'un lundi matin dans un aéroport d'Europe. Des gestes vulgaires et brusques et tout est atrocement propre autour… j'ai l'impression que tout est enseveli par le travail de la mort. Paris après Frankfurt c'est guère mieux. Je ne reconnais plus rien, j'ai l'impression que tout le monde est parti, qu'il s'est passé quelque chose de grave… j'essaye de ne pas exprimer tout ça, oralement aux personnes que je retrouve, mais je n'ai aucun plaisir à retrouver la France. Ni à ouvrir mes valises, je ne parviens rien à communiquer.

Il va me falloir chercher au plus profond de moi pour trouver des ressources de sens artistique et d'humour pour vivre sur ce mode. Cela ce n'est rien… mais retrouver l'agressivité des rapports et par là même devoir oublier tout ce que je m'étais promis de garder de douceur dans les rapports à mon retour, m'inspire bien de la désillusion…

Le marasme et la déconfiture de Calcutta, à y repenser d'ici sont irracontables... A Calcutta tout est perdu... C'est comme si l'enfer du monde s'y concentrait, mais par quel mystère , au coeur de cet enfer réel, avec des choses très tristes, je me suis senti si calme, si en paix et heureux... et j'ai travaillé et échangé naturellement ( à l'opposé d'un bonheur extatique )...  Je n'ai pas fini d'explorer le paradoxe...

Calcutta est loin et moi je me demande où je suis.

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