Entree dans le vortex
Arrivée hier soir à l'aéroport à 11 h.
Aéroport bizarrement vide, ai pris un taxi, une ambassador noire de 60 ans, qui était dans un tel état que le chauffeur, taciturne n'a pas essayé de la pousser à plus de 30 km/h. Les portes tenaient avec des guirlandes clignotantes, les roues partaient dans tous les sens comme si on se déplaçait en patins à glace.
Entrée donc lente et dansante dans Calcutta.
Pendant un bon moment nous avons roulé dans de grandes avenues vides, sans presque aucun éclairage, mais qui me semblaient être à peu près dans le même état que les faubourgs des autres villes indiennes, et complètement vide et noir.
Je n'imaginais pas avoir la sensation d'une ville désertée en arrivant à Calcutta.
Arriver pour la première fois dans une ville de nuit ou de jour n'a rien à voir.
Changement très fort depuis hier, hier à Ahmedabad j'étais plus près de Kaboul, Karachi, Lahore maintenant je suis plus près de Rangoon, Dacca, du Bhoutan, pas très loin de Bangkok. C'est le lien entre l'Asie centrale et l'Asie du Sud Est, et ça se voit à toutes sortes de détails. Les bengalis me font même parfois penser aux gens d'Hanoï.
La chaleur à Calcutta a l'air un tout petit peu moins forte et beaucoup plus humide. C'est plus éprouvant mais je préfère largement, ça coupe moins la respiration que le vent chaud, il n'y a qu'à laisser couler.
Entrée dans Calcutta donc à minuit, tout seul ! physiquement mais heureusement accompagné par ailleurs. Hé oui !
Peu à peu les rues ont commencé à être habitées, mais par des gens allongés. Très peu de circulation contrairement à ce à quoi je m'attendais, et presque uniquement des voitures de 50 ans, ce qui accentue encore la sensation de décalage énorme dans le temps. Plus on va vers le centre plus les immeubles deviennent victoriens et délabrés et plus les trottoirs se remplissent de personnes jusqu'à être complètement recouverts de corps allongés côte à côte. Bizarre de ne voir personne debout.
Je me représentait Paris comme ça dans un siècle, après une catastrophe. Immeubles bourgeois écroulés et noirs, plus de lumière et des gens qui recouvrent horizontalement les trottoirs.
C'est exactement la sensation que ça m'a donné, l'impression de me réveiller après un long sommeil et de me dire «Aïe, aïe, aïe, qu'est ce qui est arrivé à l'espèce humaine ? ».
Tout cela est très calme et silencieux, et là aussi j'ai été surpris, rien à voir avec Bombay. De temps en temps on voit un enfant réveillé qui joue ou quelques personnes qui discutent autour d'une lampe et j'ai eu la chance d'apercevoir un énorme rat d'au moins 6 kg qui se faufilait ! Cet imbécile de rat a pas arrêté de me réveiller cette nuit !
Après un bon moment nous sommes arrivés au centre, dans Sudder street où se trouve la pension. En sortant de l'ambassador déglinguée avec mes valises à une heure du matin au milieu de cette rue défoncée et noire couverte de dormeurs, ça m'a fait rire de me voir là.
Dans les arbres il y avait une petite loupiotte verte indiquant le Fairlawn.
Merci Arnold de m'avoir orienté vers cette maison fantasque et idéale pour rester longtemps, il me semble. Je vais y passer trois semaines! Si je commence à décrire la maison, on va en avoir pour quelques heures.
En tout cas pas luxueux, c'est même plutôt désuet et vétuste, mais archi clean et complètement ouvert sur la folie. Des bouddhas verts et dorés qui tiennent le drapeaux du Canada avec des vases chinois, des biches en ébène, des laques, des tableaux, photos et objets du sol au plafond, et des rideaux à grosses fleurs tendus devant toutes les portes et les fenêtres.
Ma chambre donne sur un très long salon, j'y ai passé le début de la nuit à regarder un film indien des années 40, et à fumer un cigare en compagnie des indiens qui s'occupent de la pension, assis en tailleur sur les canapés à fleur.
Ce matin j'ai rencontré la vieille Mme Smith, qui fume des cigarillos au milieu d'oranges et de raisins en plastiques, qui prend l'accent francais pour me parler, qui est de mère arménienne et de père anglais, très rigolarde et qui paraît parfaitement heureuse entourée de tous ces indiens.
Elle m'a dit I 'm not Mss Smith, I'm mother India avec ça je ne risque rien !
Courte promenade ce matin dans le quartier, c'est délirant et très mélancolique et ai été surpris de ne voir ni rickshaw, ni cyclo pousse mais uniquement des hommes qui tirent à bras.
Je croyais que c'était terminé et ça semble être le moyen de transport le plus répandu dans le centre.
Je vais descendre déjeuner et cet après-midi vais tenter de m'aventurer jusqu'au bord du Gange qui
semble pas très loin de la maison.
Cette fois en plus du dépaysement géographique je me sens complètement hors temps, mais internet est toujours là. Ouf !
De grosses bises à tous from Kolkota