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L'INDE
6 juin 2004

Ciao, ciao Khuri

 Hier, c'était le dernier jour du work-shop dans le village de Khuri.

Ce troisième work-shop est celui qui au niveau des résultats a été le plus surprenant. La plupart des enfants n'avaient jamais touché un ordinateur, ni une souris, ni un appareil photo, ni vu d'image artistique, excepté les dessins sur les murs des maisons, les tapis, saris et quelques représentations des dieux…

Si le système des castes a tendance à se faire oublier dans la plupart des régions, ici il est toujours en vigueur.

Parmi les enfants de Khuri, le groupe était composé de sept enfants de très basses castes, de deux enfants de haute caste, et d'un enfant intouchable, (ceux qui n'ont même pas de caste), celui-ci n'était pas prévu dans le work-shop mais fasciné par sa curiosité, je l'ai fait rentrer les trois derniers jours. Au départ, Parimala m'a expliqué ce que le système de castes signifiait, à propos de la représentation de soi, de chaque geste, chaque position, décision etc. Les deux de haute caste tenant à être séparés des autres semaient la terreur. Parimala qui est issue d'une famille de brahmanes (la caste la plus élevée) durant les premiers jours s'est employée à démystifier tout ça, ce qui venant d'une Brahmane les a sidérés.

Qu'une Brahmane use de ses privilèges pour expliquer que cela ne voulait plus rien dire depuis longtemps en Inde était assez intéressant à regarder.

Après les premiers jours de travail sur l'album, ils ont pris des photos des dunes et du village, puis dans les derniers jours nous avons installé Photoshop, je leur ai fait quelques démonstrations sommaires et ils se sont jetés dessus. Ce qui a été le plus génial c'est qu'au milieu de tous ces enfants archi-doués il s'est trouvé un petit génie, et qu'il se trouve que c'est le petit intouchable. Je n'ai jamais vu ça. Il ne parle que le dialecte du désert, va à peine à l'école, a des yeux gigantesques, un sourire rayonnant  et il m'a demandé de lui faire une démonstration silencieuse de toutes les fonctions de Photoshop. En trois heures, il naviguait sur les calques, copiait, collait, gérait les filtres, transformait le poids des images etc. etc.

Et tout cas les autres ont dû faire appel à lui pour pouvoir avancer dans photoshop car je lui ai laissé peu à peu faire les démonstrations que je faisais auparavant dans les autres work-shop. Les premières crispations passées, ils ont oublié toutes les barrières pour se mettre à produire des images par dizaines en commun.

Ce qui est génial parmi tous ces enfants en bas de l'échelle indienne, qui ont une image très sombre de ce qu'ils sont et de ce à quoi ils ont droit, c'est qu'en quelques jours ils se sont très rapidement ouverts. La représentation qu'ils avaient d'eux-mêmes s'est métamorphosée à mesure qu'ils réalisaient des images et qu'ils avançaient dans la connaissance de la manipulation d'un appareil photo, puis de la création d'images…

Ce qu'ils ont tenté de nous expliquer c'est que jusqu'à présent, ils avaient vu passer quelques vagues touristes avec des caméras dont ils ne se représentaient même pas la fonction, qu'il regardaient photographier leurs maisons et à qui ils se contentaient de demander une roupie… ils ont employé une expression très drôle en hindi qui est la même idée que la sensation d'avoir traversé le miroir. Parimala et Dr Mitra disent qu'ils ont compris en quelques jours le pouvoir de la connaissance contre le pouvoir féodal des castes, et que cela revient à leur donner accès à une éthique qu'ils ne pouvaient se permettre d'imaginer jusqu'à présent.

Si cela pouvait être vrai… Hier, donc les pères en turbans et les mères en somptueux saris sont venus voir les productions de leurs rejetons et assister à la cérémonie d'adieux. La délicieuse famille du génial petit intouchable avec qui j'avais sympathisé durant ces deux dernières semaines m'a rempli les poches de minuscules cadeaux, dont un petit instrument de musique en métal qui produit un son presque électronique et très mélancolique…

Ca a été encore épouvantable de faire tous ces adieux au soleil couchant, de se serrer dix fois la main, de regarder tous ces grands yeux noirs avec des larmes… On a fini par rentrer dans la voiture, les enfants nous ont accompagnés en courant à travers le village et puis nous avons pris la route du désert. Après quelques centaines de mètres, en se retournant, on ne distingue plus les maisons du sable et puis vaguement dans la poussière on voit leurs chemises de couleur et puis plus rien…

On a fait les cinquante kilomètres dans la lumière rouge et poussiéreuse sans pouvoir dire un mot. N'étant pas tellement d'humeur optimiste je regardais au dessus de nous les files de mirages qui passent toute la journée sur ces villages de la frontière, en me disant que peut-être tout ça n'allait pas tarder à se retrouver sous les bombes pakistanaises… J'ose espérer que non, le cricket, ces derniers temps, a l'air de les rabibocher…

Parimala, bien qu'ayant un esprit scientifique, pratique, et archi-enthousiaste lorsqu'elle sombre dans des considérations pessimistes y va sans demi-mesure. Je me suis retrouvé à lui rappeler le bon côté des choses, car elle est découragée à l'idée que tous ces kiosques expérimentaux risquent de devoir fermer au mois de décembre par manque de financements.

Nous avons passé la fin de soirée autour d'une bouteille de vin indien, avec un musicien, Divana, qui va se produire aux alentours du 18 juin au Théâtre de la Ville à Paris. Nous devions descendre Parimala et moi à Bombay demain, mais la rentrée des classes étant mardi en Inde, Parimala a avancé d'une journée son départ pour pouvoir la faire avec sa fille et nous a quittés .

Je passe donc cette journée, à Jawahar Niwas, à refaire les bagages, à écrire le blog… et peut-être à aller profiter une dernière fois, seul, des toits de Jaisalmer ce soir.

Demain, nouvelle journée de voyage. Je quitte Jaisalmer à midi, roule pendant cinq heures à travers le désert de Thar. A 19h 30 je décolle de Jodhpur pour Bombay.

Après le désert le matin, demain soir tard, je serai au bord de la mer d'Oman parmi 25 millions d'habitants…

Des bises à tout le monde,

pascal

 
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Commentaires
C
de ce que je t'avais écrit : "On y est bien, puisqu'on arrive à en partir". Laurent Perrot<br /> Je viens d'avoir Taryck au téléphone, avec grand plaisir... Encore bise
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