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L'INDE
8 juin 2004

Bombay

M'y voilà. Depuis mon arrivée, je nage dans un océan d'énigmes et de quiproquos.

Après une dernière soirée, seul à Jaisalmer, dans les cénotaphes puis dans les vieilles havellis de la ville, j'ai quitté Jawahar Niwas hier à 13 h.

La route à travers le désert, de Jaisalmer à Jodhpur, est désolée, de la poussière, du sable, des carcasses de chameaux morts, des maisons enfouies dans le sable, et une lumière nucléaire. On passe d'ailleurs, à mi-chemin, à Pokaran, la ville choisie en 1998 pour les essais de la bombe atomique indienne.

A Jodhpur, arrivé à l'aéroport très en avance j'ai lu sous les ventilateurs, en buvant du thé au lait et des petits biscuits au chocolat Bourbons, fabriqués à Hyderabad. J'ai ensuite passé les innombrables contrôles de sécurité. L'avion pour Bombay, mais en provenance de Delhi était en retard. En conséquence de quoi les policiers armés de mitraillettes sur le côté droit et de revolver sur la hanche gauche nous ont apporté du thé au lait dans les tasses en porcelaine, avec de larges sourires. J'imaginais les CRS de Roissy, apporter du thé dans des tasses en porcelaine, tout sourire, aux passagers impatients.

Donc après une nouvelle escale à Udaipur, je me suis posé à Bombay à 22 h 30. J'ai téléphoné à Parimala comme convenu, qui devait me dire où je devais aller et ce que je devais faire en arrivant. Bien que ma compréhension de l'anglais soit dans une courbe optimiste ces derniers jours, les conversations téléphoniques me plongent toujours dans un autisme presque complet.

Je suis arrivé à comprendre que je devais aller à l'adresse de l'appartement des invités du NIIT, la boite indienne dont dépend le laboratoire de recherche de Parimala et Dr Mitra. Qu'actuellement une autre personne du NIIT de passage à Bombay y résidait, et que nous partagerions donc l'appartement.

Le seul problème étant que je pouvais quitter l'appartement n'importe quand, mais n'ayant pas de clé je ne devais revenir qu'après 18 h.

Un taxi très pop avec une voiture japonaise pleine de spots multicolores et de musique Rock m'a conduit vers mon nouveau lieu de résidence.

Re-changement de monde après l'élégant et traditionnel Rajasthan… On plonge dans une folie urbaine, plus moderne que ce que mon souvenir avait imprimé. D'immenses buildings enchevêtrés, des ponts éclairés, pour relier les îles entre elles, des panneaux publicitaires démesurés à l'esthétique joviale avec des modèles presque nus… quelque chose d'Osaka.

Je suis arrivé dans ma voiture clignotante devant l'immeuble, Mount Pleasant Appartments, sur Mount Mary Road, dans le quartier de Bandra un peu avant minuit.

En haut de l'ascenseur mon colocataire, m'attendait, avec un large sourire, il s'est jeté sur mes valises en me souhaitant la bienvenue et m'a fait entrer.

L'appartement est un grand appartement pour la ville où le mètre carré est le plus cher au monde. Un grand salon, deux chambres, deux salles de bain et une cuisine. Il a posé mes valises dans une chambre avec deux petits lits, j'ai donc supposé que c'était la chambre que nous partagions et que la chambre à côté avec un grand lit était réservée au directeur. J'ai tenté de débuter une conversation mais son anglais étant encore plus embryonnaire que le mien nous y avons renoncé en nous contentant de nous adresser des sourires. Parimala a retéléphoné pour donner quelques compléments d'informations qui ont fini par rendre complètement confus les quelques points qui me semblaient intelligibles. L'attitude de mon colocataire de plus en plus inédite a rajouté une couche d'opacité.

Lorsque je lui ai demandé si je pouvais allumer un cigare, il a semblé outré que je prenne la peine de le lui demander. Ensuite il m'a poussé à deux mains sur le canapé, a choisi pour moi la chaîne 73, avec des clips musicaux de Bollywood et m'a apporté du thé… puis est resté silencieux et immobile à mes côtés, mais debout. J'ai généralement aucune difficulté pour rentrer en contact avec les indiens, mais celui-ci bien que sympathique me semblait mystérieux

J'ai donc regardé les images acidulées et les chansons suraigues de la chaîne 73, en compagnie de mon immobile colocataire, sans savoir ce que je devais faire ou ne pas faire le lendemain si je voulais garder un toit à Bombay et en me demandant ce que je devais faire ou ne pas faire tout de suite sans déclencher une suite d'événements incongrus.

Après un moment je me suis aperçu qu'il avait disparu depuis quelques temps. Je suis allé voir dans la chambre s'il était couché, puis dans l'autre sans trouver personne. Je me suis dirigé vers la cuisine éteinte et je l'ai trouvé allongé sur le sol devant l'évier.  J'ai pensé qu'il s'était trouvé mal, et me suis avancé vers lui, mais il s'est levé d'un bon avec un grand sourire en me demandant de quoi est-ce que j'avais besoin.

La fatigue du voyage, l'air humide après celui extra-dry de Jaisalmer, les informations déroutantes de Parimala et l'attitude totalement inédite de mon colocataire m'ont plongé dans un état de stupéfaction où j'ai choisi de suivre la pente de l'interprétation loufoque plutôt que celle de l'anxiété. Après tout, rien de très grave ; j'ai pensé à l'hexagramme Le voyageur, du Yi-King et à ses sages conseils. J'avais un endroit pour poser mes bagages et me reposer en sécurité, même si je ne savais pas quand ni comment je pouvais en sortir et y entrer, et mon compagnon bien qu'extravagant n'avait pas l'air dangereusement fou. Donc de l'humilité et de l'adaptabilité aux événements comme le conseille l'hexagramme lorsqu'on n'est pas chez soi.

Tout à coup il m'a demandé où je voulais dormir, sentant encore que le non-sens guettait et qu'il allait me proposer le sol de la salle de bain où le rebord de la fenêtre je me suis contenté de lui répondre gentiment, dans un lit. Il m'a alors fait choisir le lit, et j'ai opté pour la chambre avec un grand lit en essayant de mettre de l'ordre dans mes idées.

Rapidement le croisement des indices m'a fait réaliser que j'avais certainement mal compris Parimala, et que ce colocataire était en fait un jeune domestique qui recevait les invités de passage dans l'appartement. Il suffit d'être indien pour comprendre qu'il est inimaginable qu'un appartement ne soit pourvu d'un ou plusieurs domestiques, et chaque famille même populaire à quelqu'un qui fait la cuisine, quelqu'un d'autre pour la blanchisserie, et toutes les tâches sont distinctes et distribuées à des personnes compétentes pour les réaliser.

D'où l'étonnement dans son regard en lisant mon attitude pas du tout adaptée. De là à dormir sur le sol de la cuisine… mais j'ai refusé de conduire plus avant mes réflexions en suivant les conseils du Yi-King. D'autant qu'il n'est pas certain que l'inconfort d'un lit ne l'attire tellement.

Ce matin après une courte nuit reposante il est entré dans ma chambre à 8 heures avec un tonitruant Good morning sir ! Tea or Coffee ?

et il a déposé le Times of India sur mon lit. J'ai enfilé ma kurta pyjama et ai dégusté mon café et mes toasts devant la fenêtre grande ouverte. J'ai redéclenché un regard noir et vexé lorsque j'ai voulu transporter moi-même mon assiette de toast... j'ai encore des réglages à accomplir.

Le soleil est radieux ce matin, et au bout de la rue on voit la mer d'Oman toute bleue.

Parimala a re-téléphoné, je me suis concentré pour tenter de comprendre, et je peux en effet sortir quand je veux mais ne doit revenir qu'après 18h, l'heure où le jeune serveur revient. Ensuite je peux faire ce que je veux en soirée car il reste là. Il va donc falloir que je m'organise et m'adapte… mais cette semaine étant calme, je vais m'occuper à mettre de l'ordre dans mes photos, travailler sur mes prochaines images, déambuler calmement et tenter d'avancer un peu plus dans la compréhension des mystères de la société indienne…

Je vais explorer le quartier de Bandra maintenant, voir la mer, déjeuner et essayer de trouver un poste internet.

Plein de bises,

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Commentaires
G
.... fous ces indiens! peut être un peu perturbés par Vénus. Entre la pleine lune ( on dit en Inde que ça rend fou ) les éclipses ... et pour ma part un bon vin corse .... tout le monde perd la boule aujourd'hui.<br /> Amicalement <br /> Guîta<br />
P
Tres amusant car j'etais il y a une heure au New Taj, un palace ***** pres de mon appartement pour benificier d'un debit internet fluide mais hors de prix, actualiser mon blog et boire un aperitif. Les trois fois ou je me suis senti brievement deprime en Inde sont en sortant de ce genre de lieux un peu mortiferes... au lieu de revenir directement a l'appartement j'ai cherche a chasser cette legere deprime et je me suis dit que j'allais aller dans le marche bruyant trouver un vrai cyber cafe comme j'aime, surchauffe avec des ventilateurs, des guirlandes et des indiens... pour lire ton blog et que ca me ferait du bien...<br /> Et voila que je trouve ton joyeux message sur le mien... J'ai vu une image de Kahajuraho sur ton blog... je vais maintenant le lire pour trouver ce dont j'avais envie pour me faire du bien...<br /> Baisers presque en direct,
F
Comme je me brossais les dents, Fred hilare est venu me parler de ton post d'aujourd'hui et m'a raconté l'histoire du domestique, il était plié!<br /> La lisant à mon tour, j'ai bien ri aussi, et j'imaginais toute la scène (si bien narrée par toi Pascal chéri). Ton taxi et la ville m'ont fait tilt (je suis plongée dans le Japon maintenant, pour mon roman...)Ces jours de calme (relatif) vont sûrement t'être très goûteux...<br /> Ah! que de choses j'aurais à te raconter, à parler avec toi... Quand tu reviendras.<br /> Bisous forts.<br /> Frederika
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