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L'INDE
20 juin 2004

l'odeur de l'inde

Si je n'écrivais pas le blog chaque jour, je me sentirais coupé d'une partie familière de moi-même, mes amis et connaissances, je serais donc beaucoup moins libre de mes mouvements.

Pour mes prochains voyages j'utiliserais peut-être une webcam portative qu'on pourra suivre en direct en se branchant sur un site !

Vous pourrez voir en temps réel les courants de la rue et le conglomérat humain des villes, l'économie et la mesure des gestes, l'intérieur des taxis avec les temples lumineux sur les tableaux de bord, la détente des corps, les déplacements d'insecte des rickshaws, et l'immobilité suspendue tellement que vous vous demanderez si ma webcam n'a pas oublié de rafraîchir l'image.

Ce que je montrerai le plus c'est les mouvements inclinés des têtes qui ondulent pour dire, d'accord, ou je comprends ou oui . Plus je regarde ça, plus ça me rend fou. Des centaines d'informations sont données dans ces mouvements de tête.

J'aimerais tenter de m'en rapprocher dans le mouvement des images du film que nous ferons avec Frédéric à mon retour.

Hier matin je relisais l'odeur de l'Inde de Pasolini.

Enfin quelqu'un avec qui je suis d'accord avec à peu près tout ce qu'il dit lorsqu'il parle de l'Inde.

Il parle de ce mouvement de tête, essaye de le définir, et s'en rapproche un peu :

« Leur non qui signifie oui consiste dans une ondulation de la tête (leur tête brune, dansante, avec cette pauvre peau noire, qui est la couleur la plus belle que puisse avoir une peau), avec tendresse, dans un geste empreint de douceur… La tête monte et baisse, comme légèrement détachée du cou, et les épaules ondulent également un peu, avec un geste de jeune-fille qui vainc sa pudeur et montre effrontément son affection. Vues de loin, les foules indiennes restent gravées dans la mémoire, avec ce geste d'assentiment, et le sourire enfantin et radieux dans le regard, l'accompagnant toujours. Leur religion tient dans ce geste. »

A chaque chapître il revient plusieurs fois sur la douceur « Sardar, est tout entier douceur et dévouement, hindou jusqu'au bout des ongles », « avec la mesure raisonnée et la douceur des hindous », « je peux dire quelque chose : les hindous sont le peuple le plus doux que l'on puisse connaître, il se peut que parfois ils défendent leur faiblesse avec un certain histrionisme ou un manque de sincérité, mais c'est une frange autour d'une lumière absolue, d'une transparence totale », « il est vrai que les Indiens ne sont jamais joyeux : ils sourient souvent, c'est vrai, mais se sont des sourires de douceur, non de gaieté. »

Par contre il m'amuse lorsqu'il parle des vêtements, il dit chiffons, serviettes, draps pour désigner, les longhi, dothi, saris… pour un romain, qui a tourné « Médée », et les « Mille et une nuit » cela me parait curieux.

Il voyage en Inde en 1961 avec Moravia et Elsa Morante. Ce que j'aime chez Pasolini c'est sa façon d'aborder l'Inde par le vecteur érotique. Ce qui lui donne beaucoup moins de chances de se tromper qu'en l'abordant par le vecteur social et politique qui fait dire n'importe quoi à la plupart des occidentaux. Sous les prétextes d'une conscience politique extrêmement prétentieuse et naïve qui leur permet tout au plus de s'apitoyer ils sont souvent incapables de s'ouvrir à l'inconnu et d'avoir l'humilité qui permet de rentrer simplement en contact avec l'autre.

Tout comme je n'ai jamais compris de quoi il était question lorsque les occidentaux parlent de culpabilité lorsqu'ils sont en Inde.

Il faut être singulièrement prisonnier d'une image de soi comme représentant d'un système économique ou de je ne sais quoi… je ne me sens représentant de rien, excepté de temps à autres et lorsque j'y parviens, de moi-même.

Evidemment que la mal-nutrition de certaines personnes que je croise dans les bidons-villes me rend triste, mais il y a des maux dont souffre la société occidentale dont aucun indien ne voudrait je crois, en échange de rien.

Il faudrait leur demander s'ils éprouvent de la culpabilité lorsqu'ils lisent ces maux chez certains occidentaux.

Avant hier soir, j'ai assisté à un concert de musique de l'hindoustani. J'ai apprécié, ou plus justement découvert les sons des instruments dont je ne connais pas les noms pour la plupart.

J'ai compris pourquoi les petits indiens étaient si sensibles aux sons lancinants et aux mélopées de Nico. J'ai aimé regarder le public d'esthètes en kurta pyjamas brodées et saris sombres, s'endormir pendant un partie du concert, se réveiller, applaudir au milieu, et marquer leur assentiment ou leur mécontentement pendant que les musiciens jouent.

En sortant je suis remonté dans les rues noires, sur les trottoirs encombrés de braseros, d'ustensiles de cuisine et d'odeurs de nourriture. Sur mon chemin j'ai croisé une mosquée, et en quelques minutes j'ai trouvé autour de moi un rassemblement de manchots et estropiés de toutes sortes qui se retrouvent plus souvent concentrés autour des mosquées que des temples.

L'extrême de la situation m'a fait rire, j'ai fait un sourire, j'ai pivoté et suis sorti sans problème de la ronde. Une minute plus loin je me suis retrouvé à la sortie d'un cinéma, avec une foule mangeant des glaces aux couleurs improbables des films de Bollywood. Des couleurs qui deconstruisent tout ce que je pensais savoir du cercle chromatique appris aux Beaux-Arts, des verts orangés, des jaunes bleutés etc.

Je suis revenu dans un taxi plein de musique avec un chauffeur qui avait un sourire trois fois trop grand pour sa bouche.

Hier après-midi j'a été triste, car j'avais rendez-vous devant l'hôtel Oberoi sur Marine Drive, avec un étudiant de Delhi, Anustup, que j'avais rencontré à l'Alliance Française. J'ai mis une heure pour m'y rendre en taxi, l'ai attendu une heure à l'heure dite, et ne l'ai jamais vu arriver.

Après ça je suis allé visiter la Gallery of Modern Art, et lorsque je suis revenu j'avais un mot comme quoi il avait appelé et m'avait attendu plus de trois heures sans bouger au même endroit. Il repartait aujourd'hui.

Hier soir, j'étais invité à dîner chez Parimala. J'ai fait la connaissance de son père aussi calme que sa mère. Je ne savais trop quoi dire au début avec mon mauvais anglais, puis je me suis dit que je devais profiter d'être en compagnie d'un brahmane éclairé, pour lui poser toutes les questions et précisions que je me posais tous les jours. Cela a paru l'enchanter, et il m'a entretenu avec une infinité de détails et une grande précision dans les concepts, des subtilités de l'hindouisme jusqu'à deux heures du matin. C'était un régal de l'entendre faire appel à « la critique de la raison pure » pour expliquer les recherches de l'hindouisme, de déconstruire ma perception de l'idée de dieu ou de religion et de commencer à en voir apparaître d'inconnues.

Il a longuement parlé de la différence entre les polythéismes et les monothéismes confirmant en cela, mes intuitions.

Entre autres choses, une chose qui m'a surpris, c'est que le mot hindouisme n'a jamais existé pendant des millénaires.

Ce sont les anglais, qui pour simplifier, ont rassemblé cette mosaïque de rites, pratiques et recherches sous le mot d'hindouisme, et qui en ont fait une religion. Les hindous n'ont jamais appliqué l'idée de religion à propos de ce que nous appelons l'hindouisme. Tout comme la représentation de l'idée de Dieu n'a rien avoir avec celle que nous nous en faisons.

Une autre chose que je savais mais que j'aime entendre répéter, c'est que la chose la plus importante pour un hindou est de se réaliser en accord avec ce qu'il est.

Il a pris pour exemple que si on n'était épicurien, on se devait de se donner tous les moyens de vivre cet épicurisme, et qu'il n'existait aucun interdit, chaque individu devant déterminer ce qui est bon pour lui. Si comme Shiva je pense qu'il est bon pour moi de me saouler la tête ou comme Krishna de coucher avec la moitié de la terre, je me dois de le réaliser.

La seule mise en garde, étant l'addiction, l'attachement aux choses…

Entre autres choses inventées par les anglais en voici une autre.

Cette semaine il est sorti un film de Bollywood, une histoire d'amour entre deux femmes. Cela a inspiré quelques discussions dans les journaux.

L'une d'entre elles a retenu mon attention, un activiste, Ashok Row Kavi, rappelait que le concept d'homosexualité n'avait jamais existé en Inde avant les anglais.

Les textes sacrés définissent de façon très sophistiquée dix différentes sortes de sexualité et l'homosexualité est présente dans chacune et n'a jamais fait l'objet d'une catégorie particulière, il termine en disant «les homosexuels n'ont jamais été persécutés dans l'Inde hindoue, il a fallu attendre la brutalité des anglais pour voir l'homosexualité criminalisée avec la création de l'article 377 du code pénal ».

Doux anglais qui ont aussi obligé les femmes à mettre des corsages sous leur sari, les hommes à mettre des culottes sous leurs longhi, ont mutilé les représentations de dieux aux sexes gourmands mais ne sont visiblement pas arrivés à faire renoncer les femmes sikkinaises à la polyandrie.

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Commentaires
G
Dans cette contrée de rêve et à cette heure, certainement dans les bras de ... Morphée!<br /> à demain. Amitiés. Guîta
G
Vous me parlez de divagations... Peut importe que ce soit divagation ou réalité, les sensasions, les sentiments sont là. j'ai rêvé cette nuit que je me trouvais sur les pentes de l'Himalaya c'était flou , nuages-fumées de couleurs, quelques moines autour de moi, et surtout ce sentiment de bien être, entre méditation et non être. Racontez nous !<br /> Bien à vous.<br /> Guîta
F
Tu vas vers la pureté...<br />
P
Guita,<br /> Content que cela vous parle, je me posais la question, a savoir si ce n'etait pas seulement des divagations personnelles et intra-muros... peut-etre simplement que mes divagations vous parlent...<br /> Il est 6 h 30 du matin, dans l'aeroport de Mumbai devant une tasse de the. Dans une heure je decolle, dans 2 h 30 je me pose a Calcutta, et a 13 h 30 je serai sur les pentes de l'Himalaya... cela me parait irreel et l'une des choses qui me donne le plus envie dans ce voyage c'est que l'Himalaya s'incarne enfin apres des annees de fantasmes...<br /> Bonne journee a vous, et toujours heureux de me savoir lu par vous, amicalement,<br />
G
j'ai lu hier votre grand exposé mais n'ai pas eu le temps d'y répondre. Que de sujets differents et aussi interressants les uns que les autres, vous soulevez: le rapport entre le corps et la parole chez les indiens, des sourires "de douceur", de polythéisme et monothéisme, du désastre causé par le passage des Anglais; que des sujets qui me parlent!<br /> Demain grand départ pour le Sikkim encore d'autres sensations ,d'autres émotions, d'autres rencontres. Bon voyage..... ( je vous envie !)<br /> Bien à vous. Guîta
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